DU DÉSIR PROFOND DE SE FAIRE ARNAQUER
by Ploum on 2025-03-21
https://ploum.net/2025-03-21-se-faire-arnaquer.html
Pour suivre les modes et faire comme tout le monde
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Stefano Marinelli, un administrateur système chevronné, installe
principalement des serveurs sous FreeBSD, OpenBSD ou NetBSD pour ses
clients. Le plus difficile ? Arriver à convaincre un client qui veut
absolument un « cluster de kubernetes tournant sous Linux », mais ne
sait pas de quoi il s’agit que ce n’est pas toujours une bonne idée. Par
contre, s’il migre sans rien dire des machines virtuelles vers des jails
FreeBSD, il reçoit des appels paniqués parce que « tout va désormais
trop vite, ça va nous coûter combien votre mise à jour du matériel ? ».
I Solve Problems (it-notes.dragas.net)
https://it-notes.dragas.net/2024/10/03/i-solve-problems-eurobsdcon/
C’est le gros problème du métier d’ingénieur : l’ingénieur est censé
analyser un problème et proposer des solutions, mais un manager, pour
justifier son boulot, a la plupart du temps déjà décidé de la solution
qu’il veut que l’ingénieur mette en place, même si elle est inadaptée.
Heureusement, les conflits sont de plus en plus rares : toutes les
écoles d’ingénieurs enseignent désormais le management et la plupart des
élèves ingénieurs n’apprennent plus à être critiques dans la résolution
des problèmes. Les universités créent un monde de Julius:
Mon collègue Julius (ploum.net)
https://ploum.net/2024-12-23-julius-fr.html
Ceux qui osent demander « mais pourquoi ? » sont les exceptions, les
rebelles.
Keynote Touraine Tech 2023 : Pourquoi ? (ploum.net)
https://ploum.net/2023-03-30-tnt23-pourquoi.html
Stefano continue avec d’autres anecdotes : comment un projet a capoté
parce que le mauvais code d’un développeur remplissait les disques des
serveurs de Stefano. Plutôt que de résoudre le problème du code, il a
été jugé plus diplomatique d’écouter le développeur et de « passer dans
le cloud ». Les disques ne se sont pas remplis en quelques heures comme
auparavant. Le projet a tourné un mois sur le « cloud » avant que
n’arrive la facture. Et le compte en banque du projet s’est vidé.
I Almost Died for a Full Sentry Database (it-notes.dragas.net)
https://it-notes.dragas.net/2024/12/28/i-almost-died-for-a-full-sentry-database/
Ou comment une infrastructure de soins de santé refuse de mettre à jour
ses serveurs pour investir dans le design d’une infrastructure « cloud »
qui, 5 ans plus tard, est toujours à l’état de design malgré le budget
injecté dans le « cloud consultant ». L’infrastructure se retrouve à
faire tourner… Windows XP et appelle Stefano quand tout plante.
Outdated Infrastructure and the Cloud Illusion (it-notes.dragas.net)
https://it-notes.dragas.net/2024/10/19/outdated-infrastructure-and-the-cloud-illusion/
L’arnaque du SEO
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J’ai vécu une anecdote similaire lorsque j’ai mis en place, pour une
petite société, un site web qui comportait une partie CMS, la gestion
des commandes et la génération de factures (j’avais tout fait en
utilisant Django). Un jour, je reçois un coup de téléphone de quelqu’un
que je ne connais pas me demandant les accès au serveur sur lequel est
hébergé ce site. Je refuse, bien évidemment, mais le ton monte. Je
raccroche, persuadé d’avoir affaire à une sorte d’arnaque. Quelques
minutes plus tard, ma cliente m’appelle pour savoir pourquoi je n’ai pas
donné l’accès à la personne qui m’a appelé. J’ai tenté l’approche
raisonnable « Vous voulez vraiment que je donne accès à toute votre
infrastructure à la première personne qui m’appelle et le demande ? »,
sans succès. J’ai finalement accepté de donner l’accès, mais en
expliquant que j’exigeais un ordre écrit de sa part et que je me
dégageais ensuite de toute responsabilité. Là, la cliente a paru
comprendre.
Après moult explications, il s’est avéré qu’elle avait engagé, à mon
insu, un consultant SEO qui voulait rajouter un code Google Analytics
dans son site. Le SEO, Search Engine Optimisation, consiste à tenter de
faire remonter un site web dans les résultats Google.
J’ai expliqué à ma cliente que même avec accès au serveur, le type du
SEO aurait été incapable de modifier le code Django, mais que, pas de
problème, il suffisait de m’envoyer un email avec le code à rajouter
(aujourd’hui encore je me demande ce qu’aurait fait le gars si je lui
avais donné un « accès administrateur » sur le serveur, comme il le
demandait). Quelques jours plus tard, un second email me demande de
modifier le code Google Analytics ajouté. J’obtempère.
Puis, je commence à recevoir des plaintes que je ne fais pas mon
travail, que le code n’est pas le bon. Je le rechange. Le même cinéma se
passe deux ou trois fois et ma cliente s’énerve, me traite
d’incompétent. Il me faut plusieurs jours d’investigations, plusieurs
réunions téléphoniques avec les types du SEO pour réaliser que les
emails proviennent de deux sociétés de SEO différentes (mais avec un nom
de domaine similaire, ça m’était passé au-dessus de la tête en lisant
les emails).
Ma cliente avait en fait engagé deux sociétés différentes de SEO, sans
leur dire et sans me le dire. Les deux sociétés se battaient donc pour
mettre leur code Google Analytics à elles, ne comprenant pas pourquoi je
mettais un « mauvais » code. Le pot au rose a été découvert lors d’une
réunion téléphonique houleuse où j’ai pointé un email reçu la veille et
que mon correspondant prétendait n’avoir jamais envoyé (forcément, il
provenait d’une autre société).
J’ai confronté ma cliente et j’ai réussi à découvrir que, à part fournir
des résumés issus de Google Analytics, ces deux sociétés ne faisaient
rien, mais que chacune avait été payée trois fois le prix que j’avais
demandé pour la réalisation entière du site, de la gestion de commande
et de facturation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la cliente
me prenait de haut par rapport aux entreprises de SEO : j’étais bon
marché donc j’étais forcément incompétent.
Pour être honnête, l’une des sociétés avait fait son « travail » et
m’avait envoyé un rapport avec des modifications mineures à faire sur le
site pour améliorer le SEO, mais en notant que le site était déjà très
bien, qu’il n’y avait pas grand-chose à faire (essentiellement, ils me
demandaient de rajouter des keywords dans les balises meta, un truc que
je savais comme étant dépassé, déjà à l’époque, mais que j’ai fait sans
discuter).
Furieux, j’ai publié un billet qui a tellement choqué la communauté SEO
que j’ai reçu des dizaines de mails d’insultes voire de menaces
physiques (vous savez, le genre où le mec à découvert des infos
personnelles et tente de vous intimider en vous montrant qu’il sait
faire une recherche Google sur votre nom).
Toute une communauté s’est prise au jeu de faire en sorte que le premier
résultat Google sur mon nom soit une série d’injures. Flatté par tant
d’attention pour un simple billet de blog sans prétention, j’ai surtout
réalisé, en lisant les forums où ils discutaient mon cas, à que j’avais
affaire à des gens malhonnêtes, peu scrupuleux, bref bêtes et méchants à
un niveau à la limite de la parodie.
Oubliez le référencement de votre site web (ploum.net)
https://ploum.net/arnaque-seo/index.html
Merdification du web avec le SEO
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Certains, plus modérés, tentèrent de me convaincre que « not all SEO ».
Réponse : si. C’est le principe même. Tu ne veux juste pas le voir parce
que tu es quelqu’un avec une certaine éthique et que ça rentre en
conflit avec ta source de revenus. Mais c’est gentil à toi de m’écrire
posément sans m’insulter.
Le web est devenu un énorme tas de déchets généré par les SEO.
Solderpunk s’interroge par exemple sur une mystérieuse mesure de la
couverture nuageuse, mais, devant la merdification du web et
l’appropriation technologique du mot "cloud", il s’en remet à poser sa
question à d’autres humains, sur le réseau Gemini. Parce que le web ne
lui permet plus de trouver une réponse ou de la poser à d’autres êtres
humains.
What does "Clouds about .05" mean? (solderpunk)
gemini://zaibatsu.circumlunar.space/~solderpunk/gemlog/what-does-clouds-about-.05-mean.gmi
Le web devait nous connecter, la merdification et l’IA nous force à nous
retirer dans des espaces alternatifs où nous pouvons discuter entre
humains, même pour résoudre les problèmes pour lesquels l’IA et le web
sont censés être les plus utiles : répondre à nos questions techniques
et factuelles. Dénicher des informations rares et difficiles d’accès.
Fermez vos comptes sur les plateformes merdifiées
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Ce retour aux petites communautés est un mouvement. Thierry Crouzet se
met également à Gemini:
Thierry Crouzet (gemini.tcrouzet.com)
gemini://gemini.tcrouzet.com/
Mais, surtout, il ferme définitivement Facebook, X, Bluesky, Instagram
et bientôt peut-être Whatsapp. Pour ceux qui hésitent à faire de même,
c’est toujours intéressant d’avoir des retours d’expérience.
Mon dernier message, les amis (tcrouzet.com)
https://tcrouzet.com/2025/03/19/quitter-facebook/
Thierry n’est pas le seul, Vigrey ferme également son compte Facebook et
en parle… sur Gemini.
Happy Spring - Finally Rid of Facebook (vigrey.com)
gemini://vigrey.com/journal/happy-spring-finally-rid-of-facebook.gmi
Une chose est certaine : vous n’arriverez pas à migrer tous vos contacs
pour une simple raison. Beaucoup veulent se faire arnaquer. Ils le
demandent. Comme mon entrepreneuse, ils ne veulent pas un discours
rationnel, ils ne veulent pas une solution. À vous de ne pas les laisser
décider de votre futur numérique.
N’attendez pas, changez vos paradigmes ! (ploum.net)
https://ploum.net/2025-03-11-changez-vos-paradigmes.html
Et n’espérez pas que tout le monde soit un jour sur le même réseau
social.
Stop Trying to Make Social Networks Succeed (ploum.net)
https://ploum.net/2023-07-06-stop-trying-to-make-social-networks-succeed.html
L’impact global de l’IA sur le web
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L’IA produit essentiellement de la merde et il ne faut jamais lui faire
confiance. Ça, vous le savez déjà.
Une bulle d’intelligence artificielle et de stupidité naturelle
(ploum.net)
https://ploum.net/2024-04-04-la-bulle-ai.html
Mais elle a surtout un impact énorme sur ceux qui ne l’utilisent pas.
Beaucoup parlent des ressources utilisées dans les datacenters, mais
bien plus proches et plus directes, les IA inondent le web de requêtes
pour tenter d’aspirer tout le contenu possible et imaginable.
Il existe un standard bien implanté depuis des décennies qui permet de
mettre un fichier appelé "robots.txt" sur son site web. Ce fichier
contient les règles que doit respecter un robot accédant à votre site.
Cela permet par exemple de dire au robot de Google de ne pas visiter
certaines pages ou pas trop souvent.
Sans surprise, les robots utilisés par l’IA ne respectent pas ses
règles. Pire, ils se camouflent pour avoir l’air d’être de véritables
utilisateurs. Ils sont donc fondamentalement malhonnêtes et savent très
bien ce qu’ils font : ils viennent littéralement copier votre contenu
sans votre accord pour le réutiliser. Mais ils le font des centaines,
des milliers de fois par secondes. Ce qui met à mal toute
l’infrastructure du web.
Drew De Vault parle de son expérience avec l’infrastructure Sourcehut,
sur laquelle est hébergé ce blog.
Please stop externalizing your costs directly into my face
(drewdevault.com)
https://drewdevault.com/2025/03/17/2025-03-17-Stop-externalizing-your-costs-on-me.html
Tous ces datacenters construits en urgence pour faire de « l’IA » ? Ils
sont utilisés pour mener des attaques DOS (Denial of Service) sur toute
l’infrastructure du web. Dans le but de « pirater » les contenus sans
respecter les licences et le copyright.
Ce n’est pas que je suis un fan du copyright, bien au contraire. C’est
juste que ça fait 30 ans qu’on nous martèle que « la copie c’est le
vol » et qu’Aaron Swartz s’est suicidé, car il risquait 30 de prison
pour avoir automatisé le téléchargement de quelques milliers d’articles
scientifiques qu’il estimait, avec justesse, appartenir au domaine
public.
Les vieux cons (ou L’humaine imperfection de la perfection morale)
(ploum.net)
https://ploum.net/2024-09-23-vieuxcons.html
L’IA consomme des ressources, détruit nos réseaux, met à genoux les
systèmes administrateurs bénévoles des sites communautaires, s’approprie
nos contenus. Et tout cela pour quoi faire ? Pour générer du contenu SEO
qui va remplir encore plus le web. Oui, ça tourne en boucle. Non, ça ne
peut pas bien se terminer.
Drowning in AI Generated Garbage : the silent war we are fighting
(ploum.net)
https://ploum.net/2022-12-05-drowning-in-ai-generated-garbage.html
La mode de l’incompétence
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Le SEO, le cloud et maintenant l’IA sont en cela très similaires : la
mode. Les clients le veulent à tout prix et demandent pour se faire
littéralement arnaquer tout en se vantant de leur incompétence.
Le marketing, une religion malveillante, incompétente et dangereuse
(ploum.net)
https://ploum.net/2024-08-18-religion-marketing.html
Dans un sens, c’est bien fait pour eux : ils le veulent le truc à la
mode sans même savoir pourquoi ils le veulent. Ma cliente voulait du SEO
alors qu’il s’agissait d’un business essentiellement local qui ciblait
une clientèle de niche avec laquelle elle avait des contacts. Les
clients veulent « du cloud » pour ne pas payer un administrateur système
comme Stefano, mais payent dix fois le prix pour un consultant et se
retrouvent à appeler Stefano quand tout va mal. De même, ils veulent
désormais de l’IA sans même savoir pourquoi ils le veulent.
L’IA, c’est en fait la junk food de la pensée : un aspect appétissant,
mais aucune valeur nutritive et, à terme, une perte totale de la culture
du goût, de la saveur.
L’IA, junk food de la pensée (academia.hypotheses.org)
https://academia.hypotheses.org/60133/
Même si j’ai donné tous les codes, tous les accès, même si je l’ai mise
en contact avec d’autres développeurs Django, la société dont je parle
dans ce billet n’a pas survécu longtemps après mon départ. Son capital
initial et, surtout, les aides de l’état à la création d’entreprise
qu’elle percevait ont essentiellement fini dans les poches de deux
entreprises de SEO qui n’ont rien fait d’autre que de créer un compte
Google Analytics. Aujourd’hui, c’est pareil avec le cloud et l’IA : il
s’agit d’exploiter au maximum la crédulité des petits entrepreneurs qui
ont la capacité d’obtenir des subsides de l’état afin de vider leurs
poches. Ainsi que celles de l’état, dans lesquelles les politiciens
piochent avec un enthousiasme démesuré dès qu’on utilise un buzzword à
la mode.
Je pensais, naïvement, offrir un service éthique, je pensais discuter
avec les clients pour répondre à leurs véritables besoins.
Je n’imaginais pas que les clients voulaient à tout prix se faire
arnaquer.
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